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19 août 2008

Peter Gabriel. L’art n’est ni noble, ni pur, ni spirituel

Par Eric Mandel, l'hebdo (ch) Edition du 07.08.2008


Joe Strummer, Manu Katché ou Papa Wemba se retrouvaient autrefois dans les studios de Peter Gabriel. «Big Blue Ball» donne à entendre ces jams sans frontières.


Pionnier des musiques du monde et de la révolution internet, esthète pop et homme d’affaires éclairé, Peter Gabriel sort Big Blue Ball. Un album qui exhume les sessions d’enregistrements organisées en 1991, 1993 et 1995 dans son studio Real World avec la crème des artistes pop-rock (Sinead O’Connor, Billy Cobham, Joseph Arthur...) et de la scène world (Francis Bebey, Papa Wemba…). Rencontre avec le chanteur.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour sortir ce projet?

Nous avions accumulé une quantité vertigineuse de travail. C’était intimidant. Il a fallu faire le tri, procéder à des choix difficiles. Ces sessions ont sans doute été l’expérience la plus amusante de ma vie de musicien. Mon studio était devenu une sorte d’agence matrimoniale pour musiciens. Et nous avons célébré de beaux mariages.
Quand j’entends Papa Wemba, la star de la rumba congolaise, accompagné par Juan Canizares, un as de la guitare flamenco, je suis fier. Aujourd’hui, ce type de rencontre est commun, mais à l’époque, c’était plutôt radical. Iggy Pop et Joe Strummer étaient également venus pour assister à notre petite cuisine.

Joe s’était installé au sous-sol, dans une tente, pour jammer avec des musiciens. Malheureusement il est parti avec les bandes. La musique est définitivement un langage universel, ce projet le prouve. D’où le titre de l’album. Vu de l’espace, la Terre n’est qu’une grosse boule bleue, sans la moindre frontière.
Vous organisez toujours des sessions de ce type?

Non, pour des raisons bassement financières. Si elles étaient riches d’un point de vue artistique, ces rencontres nous ont également coûté très cher. Nous avons perdu de l’argent à chaque fois. Il fallait payer les voyages, payer les hôtels, payer les sessions d’enregistrement. Mais si ce nouvel album marche, peut-être pourrons nous recommencer. Et puis nous avons diversifié nos activités.

Comme je dispose d’un studio à la pointe de la technologie, je le loue pour le cinéma. Nous mixons d’ailleurs le son du prochain James Bond. Et comme j’adore le cinéma, cela ne me pose aucun problème… Enfant, je voulais devenir réalisateur, c’était mon rêve. Bon, maintenant il est un peu tard pour me lancer dans une nouvelle carrière, il me faudrait au moins dix ans de travail pour apprendre ce métier.

Vous avez également écrit un morceau pour la bande originale de Wall-E, le nouveau film d’animation de Pixar…

Oui, l’histoire d’un robot chargé de nettoyer la pollution humaine. J’ai trouvé le thème intéressant. La science-fiction m’a toujours passionné. Mais pour être franc, je suis prêt à collaborer à tous les films Pixar, peu importe leur thème, leur esthétique… Je suis un fan absolu des films d’animation et ceux de Pixar en particulier.

Après le projet collectif Big Blue Ball, à quand un nouvel album solo? Le précédent remonte déjà à 2002…

J’ai déjà une soixantaine de chansons en boîte. Mais je ne suis pas pressé, il sortira quand il sera prêt. Et puis je viens d’être papa d’un petit garçon. Je veux passer du temps avec lui, le voir grandir.
Durant votre carrière, vous avez absorbé différentes cultures musicales, un peu comme une éponge…

A la base, le rock est une musique noire. Et puis des musiciens blancs ont imité Chuck Berry ou Little Richard pour arriver à autre chose. Dans les années 20, Picasso a peint Les demoiselles d’Avignon après avoir visité une exposition de masques africains. Et ce fut le début du cubisme. Toute forme d’expression se nourrit de l’extérieur. La génétique ne dit pas autre chose avec la consanguinité: se reproduire en circuit fermé provoque fatalement un affaiblissement et des malformations.

Pure hypothèse de science-fiction: la Chine vous invite à chanter pour l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin. Le militant des droits de l’homme que vous êtes accepte?

Durant l’apartheid, je faisais partie des artistes favorables au boycott de l’Afrique du Sud. D’autres artistes comme Youssou N’Dour ou Tracy Chapman étaient opposés au boycott. Au contraire, ils disaient : «Nous devons jouer en Afrique du Sud pour délivrer notre message contre l’apartheid.» Aujourd’hui encore j’ignore la bonne réponse.

Une chose est certaine: un monde avec une Chine isolée est bien plus dangereux qu’un monde avec une Chine intégrée à la communauté internationale. Il faut dialoguer avec les Chinois, avec franchise. Et fermeté. Même si les pays occidentaux, anciennes puissances coloniales, ne sont pas, du point de vue de la Chine, toujours les mieux placés pour donner des leçons de démocratie. Mais je n’irais pas chanter pour les JO à Pékin.

Vous avez publié huit albums solo en trente ans de carrière. Cela vous semble suffisant ou vous auriez aimé en produire plus?

Parfois, oui. Mais si j’ai quitté Genesis, c’est justement pour pouvoir m’impliquer dans différents projets en même temps. Je fonctionne ainsi. Bien sûr, je fais des choix. Entre reformer Genesis ou contribuer à la naissance du projet de Nelson Mandela pour les droits de l’homme (The Elders, ndlr), je choisis la seconde option, celle tournée vers l’avenir. Et non celle du passé. Je suis fier d’avoir créé en 1982 le Womad, le premier festival des musiques du monde ou d’avoir lancé la première plateforme de téléchargement (rachetée en 2006 par Nokia, ndlr) bien avant iTunes et Napster. Si je m’étais un peu moins investi dans mes différentes activités, j’aurais sans doute produit trois ou quatre albums supplémentaires. Mais ma vie aurait sans doute été moins passionnante.

Vous semblez concilier assez facilement vos activités d’artiste et d’entrepreneur…

C’est un héritage familial! Mon grand-père était joueur et un homme d’affaires doué. Pour moi, l’art et les affaires sont complémentaires. Youssou N’Dour possède à Dakar sa propre entreprise de cassettes audio. Regardez les rappeurs américains et leurs empires financiers. Je réfute l’idée selon laquelle l’art serait une forme d’expression noble, pure et spirituelle. Et le business une activité vile et bassement commerciale. La vérité est plus complexe. Le but n’a jamais été de faire de l’argent pour de l’argent, mais pour préserver ma liberté d’artiste. Et cela passe par l’indépendance financière.

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