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19 août 2007

Youssou Ndour Interview / 1990-2005 : 15 ans, tout un monde en mémoire

SÉNÉGAL - Youssou Ndour, musicien et chanteur


Quel a été selon vous l’événement le plus marquant des 15 dernières années ?

La fin de l’apartheid et l’accession au pouvoir de Nelson Mandela après avoir passé vingt-sept ans en prison. J’ai d’ailleurs composé une chanson en l’honneur de cet homme qui symbolise la fin de l’intolérance.

Qu’est-ce qui a compté pour vous ces 15 dernières années ?

La transition démocratique au Sénégal à l’issue de la présidentielle de février 2000. J’ai été marqué autant par la sortie d’Abdou Diouf que par l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade. Diouf a été grand, il a accepté de quitter le pouvoir. Il a montré que des pays africains pouvaient changer de régime sans que le sang soit versé. Je n’avais jamais vu une telle atmosphère à Dakar. Avec des sentiments mêlés de joie, de peur, d’inquiétude et d’espoir.

Quelle est votre vision des quinze prochaines années ?

Je souhaite de tout cœur que, dans les prochaines années, le monde se rende compte de la richesse qu’offre la diversité des langues, des cultures, des coutumes, des cuisines, et qu’il cesse de considérer ces différences comme un handicap.

Vous êtes à l’origine d’une grande campagne de lutte contre le paludisme ? Pourquoi cet intérêt pour cette cause ?

Cette maladie tue 3 millions de personnes par an, plus que le sida. En Afrique, un enfant meurt toutes les trente secondes. C’est inacceptable. Depuis mars 2005, j’ai entrepris une vaste entreprise de sensibilisation, dont le point de départ a été un grand concert à Dakar. Il s’agit d’une vaste campagne, d’un plan sur plusieurs années. Le festival Africa Live [les 12 et 13 mars 2005 à Dakar] a eu beaucoup de succès au Sénégal et dans le reste de l’Afrique. Les gens commencent à prendre au sérieux le paludisme. Ils commencent à avoir peur. Dès le lendemain du concert, nous étions dans un village dans la région de Thiès [à 100 kilomètres de Dakar] et nous avons offert 2 000 moustiquaires aux villageois. Ils nous ont dit que ce n’était pas suffisant. Ils commencent à prendre conscience de la gravité du problème. Sur le plan international, je vois que ça bouge. Au Sénégal, le Comité national de lutte contre le paludisme reçoit davantage d’argent. Je vois davantage de fondations, d’ONG se mobiliser. Mais il y a toujours un fossé entre le prix et le revenu des gens. Les moustiquaires sont vendues 5 000 francs CFA [7 euros]. C’est moins cher qu’il y a quelques années, mais le prix doit encore descendre. Une fois que l’on a une moustiquaire imprégnée, elle tient cinq ans. Et on sauve beaucoup de vies.

Au-delà de l’Afrique, comment réagit l’opinion publique internationale ?

J’ai fait une chanson, Roll back malaria (Faire reculer le paludisme), qui pourrait sensibiliser les gens encore plus rapidement. Je la chante avec Peter Gabriel, Neneh Cherry, Corneille, Tiken Jah Fakoly et Gilberto Gil. J’essaie d’être très international, de représenter tous les continents. Mon appel commence à être entendu : le Japon a offert dix millions de moustiquaires. La France a lancé un programme dans lequel s’est impliqué Jacques Chirac. Les Etats-Unis viennent de débloquer des millions de dollars pour faire reculer le paludisme. Il s’agit d’un problème de dignité, un problème humain, mais aussi un problème économique. Cette maladie coûte à l’Afrique douze milliards de dollars par an.

Pourquoi l’Afrique ne se mobilise-t-elle pas plus rapidement ?

Moi-même, je ne prenais pas cette maladie au sérieux jusqu’à l’année dernière. Je pouvais dire “Bon écoute, j’ai un peu de palu et à demain”. Dès qu’on parle avec les spécialistes, on se rend compte que c’est la maladie qui tue le plus. On commence à prendre peur. D’autant que les traitements sont de moins en moins efficaces. Notre meilleur médicament pour l’instant ce sont les moustiquaires. Les spécialistes pensent qu’il n’y aura pas de vaccins avant une dizaine d’années.

Comment mobiliser l’ensemble du continent noir ?

Je vais aussi chanter Roll back malaria avec des artistes locaux. Par exemple, je vais faire une version en wolof pour le Sénégal. L’année prochaine je veux organiser un nouveau concert à Dakar. Ensuite “la caravane” va se déplacer dans d’autres pays du continent. Je vais travailler essentiellement avec des chanteurs africains, parce qu’on a besoin des artistes locaux. On va faire une tournée dans douze pays africains. L’année suivante, on ira dans d’autres pays.

Quel a été l’impact des récentes inondations à Dakar sur la propagation du paludisme ?

Cela a eu des conséquences très graves : ça a entraîné une multiplication des moustiques. Il faut lancer un grand programme d’urbanisme dans les banlieues. Avec des moyens réduits, les gens ont construit n’importe comment. Du coup, l’eau stagne un peu partout dans les banlieues. Il ne suffit pas d’acheter des moustiquaires. Il faut aussi lutter contre le sous-développement sous toutes ses formes.

Vous avez participé au concert de Bob Geldof pour l’annulation de la dette de l’Afrique [Live8, le 2 juillet dernier]. Vous étiez le seul représentant de l’Afrique. Comprenez –vous l’indignation de beaucoup d’observateurs ?

Je l’ai dit à Bob [Geldof]. Je n’étais pas content. On ne peut pas célébrer l’Afrique sans inviter l’Afrique. C’est plus intéressant d’entendre [la chanteuse malienne] Rokia Traoré chanter avec Bono, que d’entendre encore une fois Bono chanter avec Paul McCartney. C’était aussi une grande occasion pour mélanger les gens. Nous l’avons ratée.

Ce concert a–t-il eu un réel impact ?

La musique doit toujours être une langue qui parle à tout le monde. On a mis la pression sur Bush et Blair pour que quelques décisions soient prises. Et ça a marché.

Le G8 a décidé d’annuler la dette de plusieurs pays africains, notamment le Sénégal ? Ces mesures sont-elles réellement efficaces ?

La question, c’est de savoir si on annule la dette pour les gouvernements ou pour les populations. Où va l’argent ? Il faut un certain contrôle de l’utilisation de ces fonds. Mais en même temps, il faut arrêter de dire que toute l’Afrique est corrompue. Il y a des pays modèles, notamment le Sénégal, où la démocratie a réussi à s’ancrer solidement.

Propos recueillis par Pierre Cherruau

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