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08 juillet 2007

Torture et empathie envers les pixels

VIRTUEL


Nos interactions avec les créatures virtuelles ne sont pas si différentes de celles qu'on entretient avec nos semblables. C'est ce que démontre une récente étude scientifique inspirée du docteur Milgram.

Les enfants ne sont pas seuls à manquer de discernement quand ils s'immergent dans le virtuel. Les adultes sont aussi victimes d'une certaine confusion, d'une perte de repères, d'une fausse impression d'échange.

C'est ce que démontre Mel Slater, un professeur de psychologie britannique, qui a reproduit l'expérience de Stanley Milgram sur des sujets virtuels. L'expérience de Stanley Milgram?

Menée au début des années 60, elle est restée célèbre dans les annales de la psychologie, mais aussi dans celles du cinéma français grâce à «I comme Icare», le film d'Henri Verneuil avec Yves Montand où elle est mise en scène. Elle est aussi connue des fans de Peter Gabriel, qui a composé la chanson «Milgram's 37» pour un album des années 80.

En résumé, le professeur Milgram demandait à un sujet de faire passer une série des tests à un patient situé dans une pièce voisine. Lorsque celui-ci se trompait, il devait lui envoyer une décharge électrique de plus en plus forte au fil des erreurs. En fait, le «patient» était un acteur, ce qu'ignorait celui qui était en charge des «punitions».

Milgram établit que dans environ deux tiers des cas, les personnes testées acceptaient d'envoyer des doses fatales d'électricité (450 volts) si l'ordre leur était donné par une personne représentant l'autorité. Sous influence, vous et moi pouvons devenir des bourreaux ordinaires! C'est là une sorte de preuve apportée aux propos d'Hannah Arendt durant le procès d'Adolf Eichmann.

Récemment, Mel Slater et une équipe de University College de Londres ont effectué la même expérience avec un «patient» qui était un personnage virtuel. Les cobayes savaient que leur partenaire était irréel. Un premier groupe communiquait avec lui par un interface texte alors que les membres du second voyaient leur interlocuteur, en l'occurrence une interlocutrice, en représentation tridimensionnelle.

Dans le premier groupe, tous les participants administrèrent les vingt chocs demandés alors que dans le second qui faisait face à un être virtuel qui simulait souffrances et cris, ils ont arrêté l'expérience avant les 20 chocs fatals, certains sont allés jusqu'à 19, d'autres se sont arrêtés à 9 déjà.

Oh! surprise, l'analyse de leurs réactions physiologiques, tel leur rythme cardiaque, a montré qu'ils réagissaient comme en situation réelle et éprouvaient une empathie pour des pixels.

Les résultats de cette expérience menée avec des patients virtuels réjouissent son initiateur: «Voilà qui ouvre la porte à l'usage systématique des environnements virtuels dans le cadre d'études en laboratoire jusqu'ici impossibles pour des raisons éthiques ou pratiques. Par exemple, la violence liée au football, les attaques racistes, les agressions par les gangs et autres phénomènes. Pourquoi les gens participent-ils à de telles activités bien qu'elles soient contre leur nature? L'expérience originelle de Milgram aide à le comprendre, mais l'exploitation d'environnements virtuels peut faire avancer la recherche sur ces questions urgentes et difficiles ».

Mais l'intérêt de cette expérience déborde sa cible initiale, l'autorité et le conformisme, et pose la question des limites de notre perception de la réalité. Mel Slater commente: «Bien entendu, chacun sait qu'il ne produit en fait rien de grave. Mais certaines parties du système de perceptions considère néanmoins les évènements comme authentiques. Il y a des parties du cerveau qui ignorent ce qu'est la réalité virtuelle».

Pourquoi dès lors ne pas essayer de tromper le cerveau de personnes amputées en leur donnant le contrôle d'un membre virtuel, supprimant ainsi les douleurs liées à la disparition d'un bras ou d'une jambe? Une piste explorée en ce moment à l'Université de Manchester.

Une interrogation reste étrangement absente des commentaires mais néanmoins fondamentale: quid de la différence d'empathie entre un être humain non visible et un être virtuel visible? Les paris sont ouverts, l'expérience reste à tenter.

PAR GENEVIEVE GRIMM-GOBAT

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